« Le Clos des Sens » à Annecy-le-Vieux

25 juillet 2016

Annecy, c’est magique, c’est géant !

Enfant roi, enfant de la critique, insoumis, électron libre,… à la fois tendre et croquant, le chef doublement étoilé du « Clos des Sens », à Annecy-le-Vieux, développe une cuisine à son image, pleine de surprises et de trouvailles. Un jeu de textures et de saveurs pour rendre le plus goûteux des hommages à sa Haute-Savoie d’adoption. Tous les ingrédients sont réunis pour viser la troisième étoile…


Laurent Petit, le chef doublement étoilé du « Clos des Sens », à Annecy-le-Vieux, est à l’image de sa cuisine : croustillant, parfois croquant à l’extérieur mais tout en tendresse et en douceur à l’intérieur. D’un côté, le rebelle, l’enfant terrible qui redoublera sa sixième et séchera allègrement les cours du lycée hôtelier, l’insoumis qui s’avoue lui-même allergique à toute autorité. D’où sa scolarité chaotique. « Je n’ai même pas aimé la pratique. Ma seule vraie formation, c’est celle que j’ai acquise dans les livres que je dévorais le soir et parfois même des nuits entières ».

Mais cassez la carapace et vous découvrirez un enfant pétri d’amour et de reconnaissance pour ses parents, artisans bouchers-charcutiers dans la Haute-Marne. C’est là qu’est née sa vocation, « au milieu des odeurs », des marmites qui cuisent, des pâtés en croûtes qui sortent du four, des terrines, des boudins, des fromages de tête dont les parfums doux et salés emplissaient la petite boutique. « Je m’en suis rendu compte tout de suite. Je serai cuisinier ». Car le petit Laurent a de l’ambition. « J’aimais bien le magasin mais ne je trouvais pas le métier assez élégant. Mon père avait des bottes et un tablier en caoutchouc, j’en voulais un en tissu ». Mais surtout, « je voulais aller plus loin dans la finesse ». D’où, son entrée à l’école hôtelière. Seulement, « je suis un électron libre. Quatrième et dernier enfant de la famille, j’ai été un enfant gâté, à qui l’on a pas mis de barrière ». Beaucoup auraient basculé du mauvais côté. Laurent, lui, en a fait une force. « A 18 ans et 2 jours, je suis parti de la maison et je ne suis jamais revenu ». Certes, il ne brisera jamais le contact avec ses parents. Mais pour l’enfant trop aimé, « la vie a démarré à 18 ans, quand je suis rentré dans le monde du travail ».

C’est là qu’intervient la deuxième facette du personnage. Décontracté, apparaissant parfois à la limite de la négligence, Laurent Petit se révélera un perfectionniste une fois devant le plan de travail. L’insoumis trouvera sa liberté dans la cuisine. D’autant plus facilement que, contrairement à la grande majorité de ses congénères, « je n’ai jamais eu de chef ». Inutile de fouiller dans son CV, il n’affiche aucun parcours chez les chefs étoilés mis à part un stage de 15 jours à Pâques 1984 chez Michel Guérard à Amélie-les-Bains. C’est là qu’aura lieu le déclic.

Avant ça, rien qui ne pouvait présager un grand chef. Sorti à 21 ans de l’école, il passe 10 mois dans un restaurant brésilien de Genève. Puis le service militaire. Après quoi, c’est la montée à la capitale. « J’arrive à Paris avec mon sac à dos, j’ouvre le journal à la rubrique petites annonce et je repère un tout petit troquet qui cherchait un cuisinier ». Dans ses 3 m2, Laurent enchaîne les plonges, les omelettes et les faux filets grillés. Un mois et demi à ce rythme quand arrive la rencontre qui va changer sa vie. « Un journaliste gastronomique du Figaro qui venait de racheter un restaurant pour le transformer en bar à vins ». C’est lui qui enverra Laurent faire son stage chez Michel Guérard. Et là, « je vois le paradis sur terre. Des belles robes, des clients en Rolls-Royce,… Je me suis dit : « Ça peut être ça mon métier ? » Cette idée ne me lâchera plus ».

Heureusement, avant de décrocher sa première étoile, Laurent Petit en avait déjà une qui veillait sur lui. Le futur grand profitera de ses trois années dans la capitale pour se perfectionner. Pas à l’aveugle. Après le service, il se remettait au piano et composait des pièces plus personnelles pour son patron. « Pendant 3 ans, j’ai eu un critique gastronomique à mes côtés. Je suis un enfant de la critique ».

Armé pour affronter (et séduire) les guides, le gamin de 24 ans commence à rêver d’étoiles en s’installant à Briançon, dans les Hautes-Alpes. Son restaurant se contentera d’un plus modeste 14/20 au Gault-Millau, décerné dès la première année. Mais c’est une autre étoile qui viendra d’abord illuminer sa vie. Une étoile prénommée Martine, une annécienne d’origine qui tenait un petit restaurant de spécialités à Serre-Chevalier. C’est la première à avoir amené la tartiflette dans les Hautes-Alpes. Le coup de foudre a été immédiat pour sa consœur… et pour sa région d’origine. « Annecy, c’est magique, c’est géant », s’extasie-t-il. La décision est prise, le couple quitte les Hautes-Alpes.

En 1991, alors que la crise bat son plein, les amoureux cassent leur tirelire et font le siège des banques pour racheter aux enchères l’ancien restaurant de Didier Roque, étoilé Michelin pendant deux ans à Annecy-le-Vieux. Puis en 2000, après 9 longues années de doutes et d’attente, l’établissement obtient sa première étoile. « J’étais en démonstration à Dubaï et je l’ai appris par la presse. C’est merveilleux. La première a la saveur des premières fois, c’est comme un premier amour ». Laurent Petit attendra encore 7 ans pour décrocher sa deuxième étoile. « Là, on rentre dans la cour des grands. Je rentrais dans le cercle des gens qui m’ont fait rêver ». Huit ans après, le Petit n’en finit pas de faire mentir son patronyme.

Tout dans sa cuisine, lui ressemble. Cette carapace, cette insoumission qu’il arbore comme un étendard se retrouvent avec bonheur dans l’assiette. Tout parle de lui. Chaque recette apporte cet abord croustillant, parfois croquant qui anime le personnage avant de plonger dans les textures plus douces, plus crémeuses. Avec à chaque fois une trouvaille. Comme cette gelée de féra fumée accompagnée de dés de truite et d’une salade d’asperges crues qui apporteront le craquant et la fraîcheur de la jeune pousse aux deux autres textures. Ou encore ces surprenantes petits perches du Léman « comme un anchois », des merveilles de douceur et de subtilités cuites au sel pendant 16 minutes avant d’être servies sur une rondelle de condiment de truffes avec des petits champignons japonais. Etant entendu que la forme n’est là que pour soutenir le fond. Les différences de textures savamment dosées permettent aux saveurs de se développer graduellement en bouche sans s’entrechoquer. Chacune trouve sa place au bon moment pour que le plaisir succède à la surprise. Et tout est à l’avenant. Les écrevisses brutes et crémeuses de chez Coly, pêcheur à Séchex (Margencel) au bord du Léman. Les voilà servies les unes avec du raifort et les autres surmontées d’une dentelle croustillante d’écrevisses. Le caviar de féra maturé deux mois qui allie le croquant des œufs à une polenta crémeuse. L’œuf presque parfait, avec son jaune enfoui dans son blanc en mousse surmonté de fines tranches croustillantes de morilles. La tendresse de l’omble chevalier se partageant la vedette avec le croquant du sarrasin torréfié et la puissance dégagée par les lamelles d’œufs de féra traités en poutargue. Et que dire de cette époustouflante féra en écailles soufflées et son condiment en ail des montagnes…

Chaque artiste à sa signature. Celle de Laurent Petit se trouvera dans cette dichotomie gustative. Partout, le jeu des textures et des saveurs est là pour rendre hommage non seulement à la matière, toujours traitée sans excès et avec respect, mais aussi à cette région d’adoption dont il est tombé amoureux en rencontrant Martine. Chez lui, pas de foie gras, de homard ou de poissons de mer. Sa cuisine « lacustre, végétale et singulière » se veut une ode à la Haute-Savoie. Sauf, peut-être, ses desserts. Mais peut-on reprocher au chef de ravir les yeux et les palais avec cette clémentine de Corse confite enveloppée d’une fine feuille de sucre qui, une fois partie en éclats, allie le croustillant et l’amertume au sucré et à l’acidulé de l’agrume ? Toujours dans le même esprit, on se laissera bluffer par cette « goutte d’eau, passion et café », une sorte d’œuf de sucre soufflé qui, une fois la coquille délicatement cassée, laisse apparaître un blanc crémeux au parfum de café et un jaune de fruit de la passion. Et toujours, ce dégradé de saveurs qui s’échelonnent dans la bouche pour faire durer le plaisir le plus longtemps possible. Avec une telle maîtrise, le chef peut préparer son chemin vers la troisième étoile.

D’autant que tout l’établissement est désormais à l’unisson. Le rachat de l’ancienne école communale, il y a deux ans et demi, a permis de doubler la surface de la maison, pour la passer de 500 à 1.000 m², d’y ajouter une école de cuisine et de transformer l’hôtel en un luxueux relais-château 5 étoiles de 15 chambres. Cinq millions d’euros d’investis. Le tout, sans rajouter un seul augmenter la capacité du restaurant. L’établissement fait le plein avec 30 couverts, pas un de plus. D’où l’importance de réserver.


Laurent n’est pas seul. Il y a d’abord son épouse, Martine, qu’on peut aussi assimiler à sa muse et qui se présente en garante de la succession des sommeliers. Actuellement, le poste est tenu par Jean-Baptiste Klein (Klein est l’équivalent de Petit en Allemand), un Alsacien couronné meilleur jeune sommelier de France. Il faut au moins ça pour gérer les 1.200 références de vins de la maison, dont plus de 200 breuvages « de qualité » estampillés « vin de Savoie ». Ce qui en fait le plus grosse cave en la matière de la région. Côté cuisines, le chef est aidé dans sa tâche par des seconds dont les plus connus sont Alain Perrillat-Versero, aujourd’hui aux commandes de « L’Atmosphère » (1 étoile Michelin au Bourget du Lac), Yohann Conte (2 étoiles au Veyrier du Lac) ou encore Stéphane Dattrino qui officie aujourd’hui au piano de « L’Esquisse » à Annecy (voir Le Faucigny du 9 avril). Depuis quatre ans, c’est Franck Derouet qui le seconde au « Clos des sens ».