Laurent Petit : « La cuisine est un champ d’action incommensurable et sans fin »

7 juin 2018

Laurent Petit : « La cuisine est un champ d’action incommensurable et sans fin »


mercredi 6 juin 2018 11:14


Annecy (74) Le chef 2 étoiles du Clos des Sens à Annecy a décidé de se concentrer sur son environnement afin de proposer une cuisine à forte identité lacustre et végétale.

 
 
© Matthieu Cellard
 
En librairie : Best Of Laurent Petit – Alain Ducasse Editions.

 

 
 

L’Hôtellerie Restauration : Votre cuisine a connu un tournant majeur. Vous parlez de cooking out ? 


Laurent Petit : Il y a une bonne vingtaine d’années, j’ai vu un ami faire son coming out et la libération que cela représentait pour lui. Aussi, quand j’ai fait ce que j’appelle ma crise de la cinquantaine, où j’ai décidé de m’affranchir de barrières et de croyances dans mon métier de cuisinier, je l’ai baptisé mon cooking out. J’ai fait un bilan : tout allait très bien, trop bien peut-être. En parallèle, des amis proches me disaient qu’ils ne comprenaient pas qu’il y ait une telle différence entre le Laurent du restaurant, caché dans ses cuisines et celui qu’ils connaissaient. J’étais dans le questionnement sur le sens de mes actions, de ma cuisine… Aussi en résonnance avec la société de surconsommation et ses travers. 
 
J’ai fini par dire stop ! J’ai trouvé le courage de me mettre à nu. Finis homard, foie gras, langoustine, caviar… tous ces mots magiques qui ne sont pas de mon terroir. Finie la cuisine par procuration avec tous ces intermédiaires entre les producteurs et moi. Je veux des produits d’exception mais cela passe par des histoires d’hommes dont j’aime l’éthique et la philosophie de vie. Je fais du locavore à 100%. La règle d’or ? Que ce soient avec les pêcheurs, cueilleurs, etc., je ne parle jamais de prix. On prend tout au prix demandé et nous les invitons régulièrement au restaurant qu’ils voient leurs produits dans les assiettes afin de comprendre mon identité culinaire. Nous tissons des liens de confiance formidables. 

J’ai aussi arrêté la viande. Je ne suis pas contre la viande mais je n’ai pas trouvé ici dans mon environnement un producteur qui me propose un produit exceptionnel combiné à une vraie histoire d’homme. Je ne suis pas dans la provocation. C’est un choix par défaut. Je veux seulement que ma démarche ait du sens. Je fais ce que je veux. Jamais je n’aurais imaginé que les clients cautionneraient à ce point mes choix. Pour tout dire, ce coming out est une libération.

Vous utilisez aussi le terme de ‘simplexité.’ Qu’est-ce que cela signifie ?
C’est un client qui m’a dit « bravo pour votre simplexité ». Pour moi, ce mix de simplicité et de complexité renvoie à la cuisine. En amont, dans la réflexion de la recette, nous sommes dans la complexité qui va donner un ressenti en bouche. Tandis que dans l’assiette, cela paraît simple. Mes recettes sont lisibles, les produits sont reconnus et je n’oublie jamais la « praticabilité » de la dégustation. Cela doit être simple. 

 
En 2016, une nouvelle cuisine. En 2017 une nouvelle salle. Comment se sont traduits vos choix ? 

D’abord par la transparence avec une cuisine ouverte de tous les côtés. On voit les cuisiniers travailler de l’extérieur dès l’arrivée et depuis la salle. Dans sa conception, la fluidité a été l’une des priorités. Nous avons gagné en rapidité, en qualité de travail et 12 m2 de plan de travail en plus, c’est considérable. Le passage à la cuisine ouverte s’est réalisé naturellement.
Pour la salle, nous avons conçu un écrin en bois local que nous avons brûlé nous-mêmes. Cela donne une atmosphère plus simple, sans décorum. Nous avons aussi beaucoup travaillé le phonique afin de préserver une quiétude essentielle au repas. La lumière a aussi demandé une attention toute particulière. Je voulais qu’elle soit centrée sur l’assiette, sur le propos culinaire. Ces deux facteurs confondus donnent un véritable confort intellectuel. Il permet au client de se concentrer sur son ressenti et sur les saveurs. On s’aperçoit que les clients pensent que c’est meilleur. Avec le recul, quand tu as mis ces choix en application, tu ne peux pas faire machine arrière. 
Dans cet effort de transparence, j’ai aussi décidé de passer outre ma timidité et ma peur d’être jugé en allant enfin en salle. Je vois toutes les tables, mais à des moments différents du repas. Je m’aperçois que l’on est finalement peu dans la répétition car chaque échange induit une réponse différente et je vois que les clients sont en demande de cette interaction par rapport aux produits et à la cuisine. J’ai une cuisine lacustre et végétale. J’assume et je partage.

Que représente la cuisine pour vous ?

Un champ d’action incommensurable et sans fin. C’est mon expression libre et cela me passionne toujours autant. On n’a jamais fini d’apprendre. Par exemple, j’avais un jardin d’aromates de 500 m2. Je viens d’acquérir un jardin attenant de 1000 m2 en permaculture. Je n’y connais rien et on va tout découvrir. Pomme de terre, ail, rhubarbe, poireau… des fondamentaux pour l’instant qui vont nous permettre d’avoir un côté éducatif et de vivre ce jardin. Avec les équipes, on va y aller tous les matins. Je suis persuadé qu’il y aura le Clos des Sens avant et le Clos des Sens après le jardin. 

La création est un processus qui s’opère dans la souffrance ? Dans la spontanéité ?
Mon ADN, c’est fainéant dans une dynamique perpétuelle. Le jour comme la nuit, je note des idées. Elle peut me sembler géniale et ne jamais rien donner, tandis qu’une autre fonctionne dans l’instant. Ce n’est jamais dans la souffrance. Je vis la liberté de la création. 

Votre plat best-seller ?

Thé et crémeux d’écrevisse en deux services.

Le plat de votre carte que vous préférez ?
La tarte au chou et fera fumée sauce aux oeufs d’automne.

Quel repas récent vous a époustouflé ? 
Chez Alexandre Gauthier à La Grenouillère à Montreuil-sur-Mer. J’ai vu un créateur de dingue. Par exemple, sa tombée d’épinard qui n’est qu’un élément d’un plat est tellement sublime qu’elle mérite d’être un plat en elle-même. C’est tellement intelligent d’interpréter un légume différemment. 

Un rêve à réaliser ?
La 3e étoile Michelin. Cela m’apporterait la légitimité du métier de cuisinier, d’auteur culinaire. 

 


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En librairie : Best Of Laurent Petit

Au travers de véritables cours en pas à pas, découvrez 10 recettes du chef Laurent Petit, sa cuisine lacustre et végétale qui rend hommage au territoire qui l’entoure. Ecrevisses du lac d’Annecy, brochet barbecue, suc de fenouil, meringue évanescente… Photographe : Matthieu Cellard.
Aux Editions Alain Ducasse. Prix : 14 euros

 

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Outre Le Clos des Sens, Relais & Châteaux (11 chambres 5 étoiles) et un restaurant 2 étoiles Michelin, Martine et Laurent Petit ont deux autres restaurants à Annecy : le ContreSens ouvert en 2005, tout juste devenu la Brasserie Brunet (changement de concept), 7/7, 90 places, 45 euros de ticket moyen ; le Café Brunet, ouvert en 2008, 5/7, 90 places, 42 euros de ticket moyen. Les collaborateurs qui gèrent ces établissements sont associés à hauteur de 30%. « Nous sommes la caution bancaire et culinaire », dit Laurent Petit concentré sur le restaurant gastronomique Le Clos des Sens.

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Nadine Lemoine
 
 
Laurent Petit en dates
22/6/1963 : naissance en Haute-Marne

1974 : redoublement de la 6e « première grande claque de la vie »

1981 : obtention du CAP Cuisine lycée hôtelier de Saint Dizier

1984 : premier choc émotionnel culinaire chez Michel Guérard

1987 : ouverture du premier restaurant,  à Briançon Le Péché Gourmand à Briançon.

1990 : rencontre avec Martine

1992 : ouverture du Clos des Sens à Annecy

2000 : première étoile Michelin 

2004 : création de 4 chambres au Clos des Sens (« début de l’aventure hôtelière »)

2005 : création de ContreSens à Annecy (« début de la gestion à distance des hommes »)

2007 : deuxième étoile Michelin

2012 : achat de l’école communale voisine (3 millions d’investissements)

2015 : ‘cooking out’ (parti pris total pour une cuisine lacustre et végétale)

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Le Clos des Sens

 

Nombre de places assises  : 30

Nombres de couverts/jour : 52

Nombre de services par semaine : 9

Effectifs en salle : 10 ; en cuisine : 13

Menus : découverte à 120 euros (5 plats), 160 euros (8 plats), 190 euros (10 plats). 

Ticket moyen : 210 euros TTC

L’équipe 

Chef : Laurent Petit

Chef adjoint : Franck Derouet

Chef pâtissier : Jean-Philippe Tavernier

Directeur de salle/chef sommelier : Thomas Lorival
 

 

 En complément :
   Soupe de poutargue, lentilles Beluga et omble chevalier
   Légère amertume d’une endive racine
   Meringue évanescente chicorée maison