Se remettre en question quand on est Chef de cuisine, confortablement installé dans les guides gastronomiques et que l’on affiche 50 ans au compteur, c’est presque suicidaire. C’est pourtant ce que Laurent Petit a osé faire. Reprendre tout de zéro, sortir une feuille blanche, réfléchir, penser à l’avenir de notre planète, au respect de l’environnement et imposer sa vision d’une cuisine lacustre, végétale et locale à une clientèle qu’il découvre acquise à sa cause.
« Heureusement que vous êtes venus. Grâce à vous, je vais enfin faire la connaissance de Bernard. » Il est 4 heures du matin et pour la première fois depuis son arrivée en 1992 à Annecy-le-Vieux, Laurent Petit va pêcher sur le lac d’Annecy. Aussi surprenant que cela puisse paraître, il n’a jamais rencontré son pêcheur professionnel, Bernard Curt, 60 ans, dont 13 passés sur le lac à l’heure où tout le monde dort. Jusque là, Laurent se fournissait auprès d’un poissonnier d’Annecy, avec qui il entretient une belle amitié, qui, lui-même achète ses poissons auprès de Bernard. Laurent sait que toutes les nuits entre le 1er février et le 3ème Lundi d’octobre, Bernard se lève pour aller relever les filets et récupérer des perches, des féras, des ombles chevalier, des lottes et des gardons. Et qu’une fois les filets relevés, il va chercher les casiers dans lesquels grouillent les écrevisses. Tout ça, en partie pour lui, le double étoilé Michelin. Laurent Petit l’avoue, il a rasé les murs pendant deux décennies, ne cherchant pas à se mettre en avant, ni auprès de ses clients ni auprès de ses fournisseurs. Le séant calé sur le banc central de la barque, il a les yeux qui brillent. Il pose mille et une questions sur le passé de Bernard, sur le nombre de pêcheurs professionnels autorisés sur le lac (ils ne sont plus que deux contre une trentaine en 1975), sur la maille des filets en fonction des poissons recherchés et il admire au passage le soleil qui se lève doucement sur le lac, dévoilant, au fil des minutes, les différentes communes qui le bordent, Talloires, Sévrier, Doussard, Veyrier-du-Lac et Annecy-le-Vieux. A l’époque, le petit gars du plateau de Langres arrivait de Briançon après des années passées à Paris. Dans les Hautes Alpes, il rencontre Martine, sa future épouse, annécienne d’origine , expatriée à Serre-Chevalier dans un restaurant de spécialités régionales. Elle lui fait découvrir Annecy. Le coup de foudre pour la belle et discrète Martine, et pour sa ville est immédiat. Ils ouvrent le Clos des Sens, décrochent une première étoile en 2000, puis une seconde en 2007. Entre temps, ils inaugurent 2 autres établissements, ContreSens en 2005 à Annecy et le Café Brunet en 2008 à Annecy le Vieux. Tout va bien dans le meilleur des mondes jusqu’au mois de Mars 2015. Le 2 mars, pour être précis.
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