LAURENT PETIT ARTISAN CULINAIRE A ANNECY LE VIEUX

11 mai 2017

Depuis 2015, Laurent Petit s’est converti à une cuisine à base de légumes, de poissons et de coquillages du lac. Doublement étoilé, éblouissant de créativité, le chef du Clos des Sens à Annecy-le-Vieux, propose une découverte des saveurs végétales et lacustres de la Savoie.

Texte Patrick Peltier. Photos Matthieu Cellard.

 

Sous la présence tutélaire de deux splendides marronniers, la terrasse panoramique du Clos des Sens est une invitation à la contemplation des eaux majestueuses du lac d’Annecy, scintillant au pied du massif des Bauges. Avec son épouse Martine, ils ont acquis la maison en 1992. “Nous sommes tombés sous le charme et la magie du lieu”, raconte Laurent Petit. Depuis, le domaine s’est embelli d’un couloir de nage et d’imposants travaux lui ont permis d’accéder au label Relais et Châteaux. Il s’est aussi agrandi en annexant l’école du village, achetée en 2012.

Sourire aux lèvres, légère lueur narquoise dans le regard, habillé de blanc, lunettes tendance et baskets aux pieds, le maître du Clos des Sens a l’allure décontractée. Volontiers séducteur, il dégage cependant une autorité naturelle. Sa brigade est à son image : calme et studieuse. “Je n’ai jamais eu de chef”, dit-il, un brin rebelle.

Laurent Petit est né en 1963, à Buissières-les-Belmont, un village de 700 habitants situé dans le sud de la Haute-Marne. De la charcuterie familiale, il garde le souvenir ému des odeurs de chair cuite. Il passe là une enfance et une adolescence sans histoire avec pour loisirs, les virées à mobylette avec les copains et copines. Sa scolarité est plus chahutée, contrariée par l’intransigeance d’un professeur qui n’aimait pas le gaucher qu’il est. CAP en poche, le jeune garçon quitte les frimas et le brouillard du plateau de Langres pour Paris. Service militaire achevé, il rencontre Nicolas de Rabaudy, journaliste culinaire au Figaro qui va changer le cours de sa vie. Alors qu’il est engagé comme commis de cuisine au Pied de cochon, Philippe Faure-Brac, meilleur sommelier du monde lui lance : “La cuisine, ça vous excite ?” Et le voilà qui se retrouve aux fourneaux du Bistrot du sommelier. Nicolas de Rabaudy qui l’a pris sous aile, lui ouvre son carnet d’adresses et lui décroche une quinzaine de stages chez les meilleurs chefs de la nouvelle cuisine. Au fil du temps, il se forme, notamment chez Charles Barrier à Tours, Jean Pierre Billoux à Dijon et Roger Verger à Mougins. Et enfin Michel Guérard, chez qui il travaille quelque temps à Eugénie-les-Bains. “C’était le paradis sur terre. Un nouveau monde s’est ouvert à moi”, raconte Laurent Petit. C’est le déclic. Il décide de devenir “artisan culinaire”, en hommage à son père artisan-charcutier, avoue-t-il.

De passage à Serre-Chevalier, il rencontre son épouse Martine Coin qui travaille dans une crêperie. En 1987, à 24 ans, il s’associe à Christian Bayrou et prend les commandes du Péché gourmand noté 14 au Gault et Millau. Ancienne de Gilette, Martine lui fait découvrir les montagnes de Savoie. Ensemble, ils entament la conquête d’Annecy-le-Vieux en 1992. Devenu cuisinier de haut-vol, il obtient une première étoile en 2000. Sept ans plus tard, un deuxième macaron suit qui récompense le talent d’un chef reconnu par ses pairs et applaudi par sa clientèle. Une débauche d’énergie le conduit à diriger plusieurs enseignes (le Café Brunet sur les hauteurs d’Annecy-le-Vieux et le Contre-Sens à Annecy). Chef et entrepreneur, il est “ fier” d’employer cinquante personnes.

Mais l’envie de se lancer un nouveau défi est la plus forte. “J’étais au bout d’un cycle”, explique-t-il. En 2015, il fait un “cooking-out” et décide de ne plus utiliser que des produits locaux (moins de 100 kilomètres de distance), végétaux et lacustres. Une démarche singulière qui l’oblige à se passer de homard, de foie gras et de viandes. Un choix pas facile. En faisant assaut de créativité, il s’affranchit néanmoins avec audace de ces contraintes et compose, en architecte des saveurs qu’il est, une cuisine virtuose qui s’impose comme une évidence.

À table, les assiettes ressemblent à celui qui les invente. Épurées, subtiles, singulières. Couleurs, textures, saveurs s’associent sous les doigts habiles du chef annécien chez qui se devine un goût certain pour la géométrie. Quant à ses fournisseurs, soigneusement sélectionnés, il les laisse le guider au fil des saisons. C’est le cas de Sylvia et Yannick Viret, producteurs de légumes à Marcellaz, dans le proche Albanais. Technicien hors pair, le chef excelle dans les cuissons précises. Il sait ainsi révéler la douce amertume, si difficile à maîtriser, de l’endive. Pour les poissons, Laurent Petit fait toute confiance à la pêche de Bernard Curt dans les eaux des lacs de Savoie. Il en va ainsi de l’omble chevalier cuit sur la pierre bleue de pays ou de la fera façonnée en poutargue et parsemée de sarrasin torréfié. Les écrevisses, pêchées de la nuit sont carrément une merveille. Temps fort du repas, elles se dégustent crues avec un condiment de raifort, juste infusées dans un thé, en bisque, en crémeux de tête. Le homard est vite oublié !

Puis on écoute l’histoire des fromages des pays de Savoie, écrite par Alain Michel et Pierre Gay, affineurs de talent. Le sorbet tomme blanche, cynorrhodon et les plaisirs sucrés : papier de sucre, clémentine confite (produite en Suisse, à Gland), poire glacée du jardin, charbon végétal achèvent notre révolution du palais. Éblouissant !

La carte des vins, sous la houlette d’un jeune sommelier est vive. Elle fait la part belle aux vins de Savoie : Dominique Belluard, Adrien Berlioz, Brice Omont, Nicolas Gonin, Jean-Claude Masson, Dominique Lucas, Jacques Maillet, Philippe Héritier, Jean-Yves Péron et Michel Grisard, bien sûr. De bien jolis flacons ! ✴

 

Article paru dans le Hors-série du Dauphiné Libéré « Recettes et Saveurs- avril 2017 »

https://boutique.ledauphine.com/cuisine/les-magazines/recettes-et-saveurs-entre-alpes-et-rhone-avril-2017